L'histoire du rap français Ⅰ Episode 3 : Une industrie du rap naissante

Publié le: 27/07/2020 17:44
Mis à jour le: 05/10/2020 12:27
Après un âge d'or marqué par une autoproduction saluée par les auditeurs, le rap connaît au milieu des années 90 une industrialisation menée par les maisons de disque, avant de reprendre son indépendance à la fin du millénaire.

Le début des années 90 est pour beaucoup considéré comme l’âge d’or du rap français. C’est son aspect authentique, motivé par la passion plus que par l’argent qui séduit les auditeurs d’aujourd’hui et d’autrefois de la même façon. Ce rap qui ne cherchait à s’attirer les faveurs de personne devient très vite un lointain souvenir, car comme tout secteur qui se créé un public conséquent, il devient une source de revenus potentielle. Dès que les majors flairent le succès, ils s’empressent de sauter sur de jeunes artistes - qui souvent n’ont aucune connaissance du milieu - pour en faire de véritables stars. Deux sphères se développent alors assez distinctement : d’une part un rap underground, fidèle à ses origines, porté par un public de puristes et des labels indépendants ; et d’autres part un rap plus commercial, plus accessible, que l’on verra passer sur toutes les ondes de radio et toutes les chaînes de télévision.

 

Stomy Bugsy, membre du groupe Ministère A.M.E.R, incarne ce glissement subtile de l’underground au commercial. En effet, il est issu d’une scène du Val d’Oise, de Sarcelles précisément, dont les artistes n’ont rien en rapport avec ce que les maisons de disques cherchent habituellement. Virulent, politiquement incorrect, il séduira néanmoins Columbia, auprès de qui il signera un contrat en solo. 

 

Mais comme les maisons de disques ne se contentent pas seulement de produire musicalement les artistes, elles se chargent également de leur établir une image, plus lisse, plus accessible, et moins « gangster », en opposition à un rap américain de plus en plus virulent et en proie à des guerres de gang et surtout à une rivalité East Coast / West Coast. Et pour cause, la scène rap française voit se développer des conflits entre la cité phocéenne et la capitale, dans la continuité des tensions footballistiques, incarnée par IAM et NTM, alors même qu’ils délivrent des messages similaires.

 

IAM s’inscrira finalement dans une veine assez « calme » et positive du rap, au même titre que Doc Gynéco, Ménélik ou MC Solaar, ce dernier ayant même remporté une Victoire de la musique. Le rap hardcore lui continuera de séduire ses auditeurs, et constituera une véritable scène à part entière, largement menée par NTM, et qui continue de vivre au travers de compilations telles que Les Sages Poètes de la rue, ou de nouveaux crews qui voient le jour tels que le Secteur Ä dont fera d’ailleurs partie Stomy Bugsy.

 

Le rap et ses rappeurs oscillent ainsi perpétuellement entre un rap underground et un rap plus commercial, des carrières solo et des carrières en groupe, des majors et des labels indépendants.  Un large paysage complexe donc, où il est difficile de placer définitivement des artistes. Quoiqu’il en soit, les artistes trouvent toujours des auditeurs, puisque la fin des années 90 marque de toutes manières une entrée définitive du rap dans le paysage musical français, avec notamment Skyrock qui devient la chaîne de radio rap de référence. Alors même que les stations FM ne diffusaient que très peu ce style de musique, Skyrock a été le premier à s’imposer dans ce domaine, quitte à subir des critiques, beaucoup considérant la chose comme de l’opportunisme face à ce mouvement naissant. le groupe La Rumeur refusera par ailleurs de se plier aux standards de la radio pour y voir ses morceaux diffusés - car qui dit commercialisation dit image lissée et rendue plus accessible. Or dans la fin des années 90, Skyrock devient un incontournable, un passage nécessaire pour tout artiste lançant son projet. 

 

L’année 1999 voit naître de nouvelles têtes dans la scène du rap français, parmi lesquelles on compte Bisso na Bisso, un groupe franco-congolais porté par Passi, avec son premier album Racines… qui atteint la 5ème place du classement musical en France ; mais également le 113, issu du Val-de-Marne, qui compte parmi ses membres le fameux Rim’K, toujours actif aujourd’hui. Le groupe sort son premier album en 1999 également, Les princes de la ville, qui se vendra à plus de 350 000 exemplaires, et qui leur vaudra une Victoire de la musique l’année qui suit, tout en maintenant leur authenticité, fidèles à la rue. Ce succès du 113 révèlera également la Mafia K’1 Fry, le collectif dont ils font parti, et mettra notamment en valeur Rohff et Kery James.

 

Cette année-là constitue également un tournant dans la mesure où les rappeurs reprennent possession d’eux-mêmes, et rattrapent leurs carrières appropriées par les maisons de disques. A cet égard, Akhenaton du groupe IAM fonde son propre label, 361 Records, qui, dans les années qui suivent, produira Psy 4 De La Rime ou l’Algérino. Akhenaton compose également des morceaux pour Passi, La Brigade ou encore 3e Oeil.

En somme, la fin du millénaire signe le début d’une autonomie pour les rappeurs, qui ne dépendent plus de tel ou tel major pour s’imposer, et le début des années 2000 marque lui le début d’un nouvel âge d’or, avec de nouveaux grands noms qui s’imposent.

Yassmine Haska