Ô Robert, un conseil. Ayez l’air moins candide
Victor Hugo
paroles Victor Hugo Ô Robert, un conseil. Ayez l’air moins candide

Victor Hugo - Ô Robert, un conseil. Ayez l’air moins candide Lyrics

Ô Robert, un conseil. Ayez l’air moins candide.
Soyons homme d’esprit. Le moment est splendide,
Je le sais ; le quart d’heure est chatoyant, c’est vrai
Cette Californie est riche en minerai,
D’accord ; mais cependant quand un préfet, un maire,
Un évêque adorant le fils de votre mère,
Quand un Suin, un Parieu, payé pour sa ferveur,
Vous parlant en plein nez, vous appelle sauveur,
Vous promet l’avenir, atteste Fould et Magne,
Et vous fait coudoyer César et Charlemagne,
Mon cher, vous accueillez ces propos obligeants
D’un air de bonne foi qui prête à rire aux gens.
Vous avez l’oeil béat d’un bailli de province.
Par ces simplicités vous affligez, ô prince,
Napoléon, votre oncle, et moi, votre parrain.
Ne soyons pas Jocrisse ayant été Mandrin.
On vole un trône, on prend un peuple en une attrape,
Mais il est de bon goût d’en rire un peu sous cape
Et de cligner de l’oeil du côté des malins.
Etre sa propre dupe ! ah ! fi donc ! Verres pleins,
Poche pleine, et rions ! La France rampe et s’offre ;
Soyons un sage à qui Jupiter livre un coffre ;
Dépêchons-nous, pillons, régnons vite. – Mais quoi !
Le pape nous bénit ; czar, sultan, duc et roi
Sont nos cousins ; fonder un empire est facile
Il est doux d’être chef d’une race ! – Imbécile !
Te figures-tu donc que ceci durera ?
Prends-tu pour du granit ce décor d’opéra ?
Paris dompté ! par toi ! dans quelle apocalypse
Lit-on que le géant devant le nain s’éclipse?
Crois-tu donc qu’on va voir, gaîment, l’oeil impudent,
Ta fortune cynique écraser sous sa dent
La révolution que nos pères ont faite,
Ainsi qu’une guenon qui croque une noisette ?
Ote-toi de l’esprit ce rêve enchanteur. Crois
À Rose Tamisier faisant saigner la croix,
À l’âme de Baroche entrouvrant sa corolle,
Crois à l’honnêteté de Deutz, à ta parole,
C’est bien ; mais ne crois pas à ton succès ; il ment.
Rose Tamisier, Deutz, Baroche, ton serment,
C’est de l’or, j’en conviens ; ton sceptre est de l’argile.
Dieu, qui t’a mis au coche, écrit sur toi : fragile.

29 mai 1853. Jersey


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