J’ai donné ma parole. - Allez, fermez la porte ;
Attachez-moi les pieds de peur que je ne sorte,
Et dites qu’on me donne une tasse de thé.
S’il vient un créancier, - vous les devez connaître,
Il le faut avec soin jeter par la fenêtre,
Car je veux aujourd’hui rêver en liberté.
Si quelque femme vient, petit pied, main petite,
Qu’elle s’appelle Anna, Lisette ou Marguerite,
Ouvrez : — Qui fermerait sa porte à la beauté ?
Chastes Muses, — ô vous qui savez toutes choses,
Ce qui fait l’incarnat des vierges et des roses,
Ce qui fait la pâleur des lis et des amants ;
Vous qui savez de quoi les petits enfants rêvent,
Quel sens ont les soupirs qui dans les bois s’élèvent,
Et cent mille secrets on ne peut plus charmants ;
Ô Muses ! — savez-vous ce que je m’en vais dire ?
Je n’ai ni violon, ni guitare, ni lyre,
Et n’entends pas grand’chose au style des romans ;
Et cependant il faut, car l’éditeur y compte,
Tirer de ma cervelle une ballade, un conte,
Je ne sais quoi de beau, de neuf et de galant.
Ce sont des doigts d’ivoire et de beaux ongles roses
Qui froissent ces feuillets, dans les heures moroses
Où le temps ennuyé chemine d’un pied lent.
C’est dans votre boudoir, ô lectrice adorable,
Sur un beau guéridon de citron ou d’érable,
Qu’ira ce que j’écris ; et j’y songe en tremblant,
Car vous avez le goût dédaigneux et superbe,
Et vous trouvez fort bien le chardon dans la gerbe
Au milieu des bluets et des coquelicots.
Madame, — excusez-moi, je ne suis pas poète ;
Mon nom n’est pas de ceux qu’un siècle a l’autre jette
Et qui dans tous les cœurs éveillent les échos.
Hélas ! — Je voudrais bien vous conter une histoire,
Comme vous les aimez, — bien terrible et bien noire, —
Avec enlèvements, duels et quiproquos ;
— Une intrigue d’amour, charmante et romanesque,
Où j’aurais, nuançant ma phrase pittoresque,
Pris sa pourpre à la rose et leur azur aux cieux,
Au marbre de Paros sa candeur virginale,
Leur neige aux Apennins, son reflet à l’opale,
À l’ambre son parfum faible et délicieux ;
Où j’aurais, pour parer ma frêle créature,
Prodiguement vidé l’écrin de la nature
Et créé deux soleils pour lui faire des yeux.
Je ne sais pas d’histoire et n’ai pas de maîtresse,
— Pas même un conte bleu, — pas méme une duchesse,
Je n’ai pas voyagé, — que vous dirai-je donc ?
Si le diable venait, en vérité, madame,
Pour un conte inédit je lui vendrais mon âme :
Ma faute est, je l’avoue, indigne de pardon.
Eh quoi ? pas un seul mot ! — pas une seule phrase !
Par l’eau de Castalie et l’aile de Pégase,
Clio, tu me paîras un si lâche abandon !
Le menton dans la main, les talons dans la braise,
Je suis là, l’œil en l’air, renversé sur ma chaise ;
J’ai bien tout ce qu’il faut, — la plume et le papier, —
Il ne me manque rien, — presque rien, — une idée ! —
Mon brouillon, de dessins, a la marge brodée :
Ariel aujourd’hui se fait longtemps prier.
Ainsi qu’au bord d’un puits un pigeon qui veut boire,
Ma Muse tord son col aux beaux reflets de moire,
Et n’ose pas tremper son bec dans l’encrier.
— Je n’imagine rien de sublinie et de rare,
Sinon : — c’est une femme avec une guitare,
Et puis un cavalier penché sur un fauteuil.
Vous le voyez fort bien sans que je vous le dise : —
Quand on a regardé, quel besoin qu’on me lise ?
Au burin du graveur je soumets mon orgueil.
Mais peut-être — après tout — me faut-il rendre grâce ;
Car j’aurais pu, suivant nos auteurs à la trace,
De galantes horreurs tacher ce frais recueil.
Songez-y ! — j’aurais pu faire avec jalousie
Très convenablement rimer Andalousie,
Et vous cribler le cœur à grands coups de stylet ;
J’aurais pu vous mener à Venise en gondole ;
Depuis le masque noir jusqu’à la barcarolle,
Déployer à vos yeux le bagage complet,
Et les jurons du temps, et la couleur locale ;
Je vous épargne tout : — ô faveur sans égale ! —
Sur ce, je vous salue, et suis votre valet.
1838
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