L’Aurore enveloppait dans une clarté rose
Le vallon gracieux que le Pénée arrose,
Et les arbres touffus, et la brise et les flots
Se redisaient au loin d’harmonieux sanglots.
Près du fleuve pleurait, parmi les hautes herbes,
Une Nymphe étendue. À ses regards superbes,
À ses bras vigoureux et vers le ciel ouverts,
À ses grands cheveux blonds marbrés de reflets verts,
On eût pu reconnaître une fille honorée
De Doris aux beaux yeux et du sage Nérée.
Ses cheveux dénoués se déroulaient épars,
Et ses pleurs sur son corps tombaient de toutes parts.
Ô trop bel Iolas ! insensé, disait-elle,
Pourquoi dédaignes-tu l’amour d’une immortelle ?
Guidé par ta fureur, sans écouter ma voix,
Tu vas, chasseur cruel, ensanglanter les bois.
Enfant ! je ne suis pas une blonde sirène
Dont les chants radieux pendant la nuit sereine
Égarent le pilote au milieu des roseaux.
Hélas ! j’ai bien souvent, sur l’azur de ces eaux,
Avec mes jeunes sœurs, Nymphes aux belles joues,
Folâtré près de toi dans l’onde où tu te joues,
Et pour ton fleuve bleu quitté nos océans !
Bien souvent, pour te voir, j’ai sur les monts géants
Porté le long carquois des jeunes chasseresses,
Et, livrant aux zéphyrs tous mes cheveux en tresses,
Comme font les enfants de l’antique Ilion,
Jeté sur mon épaule une peau de lion.
Bien souvent, nue, en chœur j’ai conduit sous ces arbres
Les Nymphes du vallon aux poitrines de marbres ;
Mais sous les flots d’azur, aux grands bois, dans les champs,
Jamais tu n’es venu pour écouter mes chants.
Et cependant, ainsi que les nymphes des plaines,
J’avais pour toi des lys dans mes corbeilles pleines ;
Mais tu les refusais, et la seule Phyllis
Peut jeter devant toi ses chansons et ses lys.
Quand je t’ai tout offert, tu gardais tout pour elle.
Et pourtant de nous deux quelle était la plus belle !
Souvent dans nos palais j’ai vu le flot, moins prompt,
Frémir joyeusement de réfléchir mon front ;
Sur un sein éclatant mon cou veiné s’incline,
Un sang pur a pourpré ma lèvre coralline,
Le ciel rit dans mes yeux, et les divins amants
Autrefois m’appelaient Clymène aux pieds charmants.
Ami ! viens avec moi. Nos sœurs les Néréides
T’ouvriront sur mes pas leurs demeures splendides,
Et, près des cygnes purs, dans leurs ébats joyeux,
Nageront, se plaisant à réjouir tes yeux.
Là, comme les grands Dieux, dans nos chastes délires
Nous savons marier nos voix aux voix des lyres,
Ou verser le nectar dans les vases dorés ;
Et l’onde, en se jouant près de nos bras nacrés,
Songe encore aux blancheurs de l’Anadyomène.
Oh ! désarme pour moi ta froideur inhumaine ;
Viens ! si tu ne veux pas que sous ces arbrisseaux
Mes yeux voilés de pleurs se changent en ruisseaux
Ou que tordant mes bras divins, comme Aréthuse,
Je meure, en exhalant une plainte confuse.
Mais, hélas ! l’écho seul répond à mes accords ;
Le soleil rougissant a desséché mon corps
Depuis que je t’attends de tes lointaines courses,
Et mes yeux étoilés pleurent comme deux sources.
Ainsi Clymène, offerte au courroux de Vénus,
Disait sa plainte amère ; et les sœurs de Cycnus
Pleuraient des larmes d’ambre, et les gouffres du fleuve
Pleuraient, et la fleur vierge, et la colombe veuve,
Et la jeune Dryade en tordant ses rameaux,
Pleuraient et gémissaient avec d’étranges mots.
Et lorsque vint la nuit ramener sa grande ombre,
Où scintille Phœbé, sœur des astres sans nombre,
Au sein des flots troublés et grossis de ses pleurs,
Triste, elle disparut en arrachant des fleurs.
Juillet 1842.
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