A la Jeunesse
Théodore De Banville
paroles Théodore De Banville A la Jeunesse

Théodore De Banville - A la Jeunesse Lyrics

Prologue pour La Vie de Bohème au Théâtre de l'Odéon

Mesdames et messieurs, nous vous donnons La Vie
De Bohème, une pièce où le rire et les pleurs
Se mêlent, comme aux champs, où notre âme est ravie,
Les larmes du matin brillent parmi les fleurs.

Pour dire ce refrain des amours éternelles,
Deux amis, ô douleur! séparés aujourd'hui,
Naguères unissaient leurs deux voix fraternelles:
Puisque l'un d'eux s'est tû, ne parlons que de lui.

Murger, esprit ailé, poëte ivre d'aurore,
Pour Muse eut cette soeur divine du Printemps,
La Jeunesse, pour qui les roses vont éclore,
Et pour devise il eut ces mots sacrés: Vingt ans!

C'est pourquoi, tout heureux de se regarder vivre,
Toujours les jeunes coeurs de vingt ans aimeront
Ces filles du matin qui passent dans son livre
Et meurent sans avoir de rides sur leur front.

Qui ne les adora, ces fleurs de son poëme?
Qui de nous, qui de nous, ô rêveuse Mimi
Enamourée encor sous le frisson suprême,
N'a dans un rêve ardent baisé ton front blêmi?

Et toi, Musette, reine insoucieuse et folle,
Qui n'a cherché tes yeux, qui n'a redit ton nom?
Qui sur ta lèvre ouverte au vent, rose corolle,
Ne retrouve à la fois Juliette et Manon?

Oui, tant qu'un vin pourpré frémira dans nos verres,
Ces fillettes vivront, couple frais et vermeil.
Pourquoi? c'est qu'elles ont l'âge des primevères
Et l'actualité du rayon de soleil.

Le livre un soir devint une pièce applaudie
Et même fit fureur autant qu'un opéra.
Le miracle nouveau de cette comédie,
Ce fut qu'en l'entendant l'on rit et l'on pleura.

On s'étonnait surtout qu'en des scènes rapides
L'esprit, versant la joie et l'éblouissement
Avec son carillon de notes d'or splendides,
Pût laisser tant de place à l'attendrissement.

Puis l'oeuvre, que le temps jaloux n'a pas meurtrie,
De théâtre en théâtre a suivi son destin,
Mais elle trouve enfin sa réelle patrie
En abordant ce soir au vieux Pays Latin!

O vous en qui sourit l'avenir de la France!
O jeunes gens, Murger calme, vaillant et doux,
Nous versait en pleurant le vin de l'espérance:
Où serait-il compris si ce n'est parmi vous?

Il fut des vôtres, car il eut le fier délire
Du noble dévouement et des belles chansons,
Et je devine bien que vous allez lui dire:
Reste avec nous.  C'est bien.  Nous te reconnaissons.

Il fut de votre race, ô nation choisie!
Il se donnait à vous qui, malgré les moqueurs,
Ne déserterez pas la sainte Poésie,
Et dont la soif de l'or n'a pas séché les coeurs!

Comme sa comédie où, voilé de tristesse,
Murmure sous les cieux le rire aérien,
Est à vous, bataillon sacré de la jeunesse,
Nous vous la rapportons.  Reprenez votre bien!

Le poëte pensif qui vous donna La Vie
De Bohème, adora dans ses rêves d'azur
La gloire, cette amante ardemment poursuivie,
Et toujours se garda pour elle honnête et pur.

Ses héros sont parfois mal avec la fortune:
Vous les voyez soupant au milieu des hivers
D'un sonnet romantique ou bien d'un clair de lune,
Mais fidèles, mais vrais, mais indomptés, mais fiers!

Leurs châteaux éclatants, faits d'un rêve féerique,
N'ont encore été vus par nul historien,
Et sont bâtis dans une Espagne chimérique,
Mais enferment l'honneur, sans lequel tout n'est rien.

Vous recevrez chez vous ces hôtes en liesse,
Comme des voyageurs qui parlent d'un ami.
Oui, vous applaudirez et l'esprit de la pièce
Et votre doux Murger, à présent endormi!

Et vos regrets amers pour ce jeune poëte
Emporté loin de nous par un vent meurtrier
A sa lyre à présent détendue et muette
Ne refuseront pas quelques brins de laurier!

Car vous êtes de ceux dont la pitié profonde
Garde les verts rameaux qui croissent sous le ciel
Pour les penseurs trop vite exilés de ce monde
Et pour ce que les morts nous laissent d'immortels!
30 décembre 1865.


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