Les cabinets, ici, c'est une baraque badigeonnée
d'un brun ignoble, avec une porte
qui ne ferme pas et des vitres cassées. Seize
sièges là-dedans, huit d'un côté, huit de
l'autre. Et des traces de merde sèche sur les
sièges. On s'installe côte à côte, dos à dos.
Seize types sur leurs seize sièges, alignés,
identiques, pareillement attentifs au travail de
leurs boyaux. Chacun a une feuille de papier
à la main, comme une demoiselle qui s'apprête
à chanter dans un salon. Ils s'efforcent
ensemble, mornes, soucieux, confondant
leurs bruits et leurs odeurs. Et d'autres,
debout contre la paroi goudronnée, pissent.
Un petit ruisseau d'urine mousseuse coule à
leur tour en causant de leur famille ou de leur
constipation. Fraternité des barbelés. Fraternité
dans la puanteur et la flatulence. Tout le
monde ensemble dans un gargouillis de paroles,
d'urine et de tripes. De temps en temps
d'une main son pantalon, de l'autre, soigneusement,
se torche. Au suivant. On se bouscule
autour du trou. On proteste : Grouillez-vous
un peu, bon dieu.
J'aimerais autant parler d'autre chose de
choses claires. Parler des claires jeunes filles,
ou d'un regard de vieille dame, ou d'un
peuplier au bord de la route. Parler d'un
poème, d'une écharpe, d'un tableau de Matisse.
Mais tut cela n'existe plus. C'est fini.
Il n'y a plus de couleurs, de feuillages ni de
regards. Tout a été englouti dans une catastrophe
informe. Tout est foutu. Il ny a plus,
au milieu d'un univers détruit, que cette
baraque où l'on se soulage en tas. Tout est
vide et mort.
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