Le couchant est semblable à la mort d’un poète…
Ah ! pesanteur des ans et des songes vécus !
Ici, je goûte en paix l’heure de la défaite,
Car le soir pitoyable est l’ami des vaincus.
Mes vers n’ont pas atteint à la calme excellence,
Je l’ai compris, et nul ne les lira jamais…
Il me reste la lune et le proche silence,
Et les lys, et surtout la femme que j’aimais…
Du moins, j’aurai connu la splendeur sans limite
De la couleur, de la ligne, de la senteur…
J’aurai vécu ma vie ainsi que l’on récite
Un poème, avec art et tendresse et lenteur.
Mes mains gardent l’odeur des belles chevelures.
Que l’on m’enterre avec mes souvenirs, ainsi
Qu’on enterrait avec les reines leurs parures…
J’emporterai là-bas ma joie et mon souci…
Isis, j’ai préparé la barque funéraire
Que l’on remplit de fleurs, d’épices et de nard,
Et dont la voile flotte en des plis de suaire…
Les rituels rameurs sont prêts… Il se fait tard…
Sous la protection auguste de tes ailes,
O Déesse ! j’irai vers les prés sans avril…
Je partirai, parmi les odes fraternelles,
Sur un fleuve plus large et plus noir que le Nil.
Et que mon coeur soit lourd dans ta juste balance,
Lorsque j’arriverai près du trône fatal
Où le silence noir est plein de vigilance
Et que servent les Dieux à têtes de chacal.
Isis, fais-moi rejoindre, au fond des plaines nues,
Les poètes obscurs qui savent les affronts
Et qui passent, chantant leurs strophes inconnues
Dans le soir éternel qui pèse sur leurs fronts…
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