Quand on est un canal on coupe la campagne
En deux plaines étalées entre Manche et Champagne
Et tous les peupliers nous font des haies d'honneur
A nous voir aller droit mieux que des arpenteurs
Et l'on sait les secrets de ajoncs frémissants
Quand ils courbent la tête en prière de vent
On reflète dans l'onde les corps imaginaires
Des nuages repus qui courent vers la mer
Quand on est un canal on s'arrête aux écluses
Pour entendre gueuler les marins qui s'amusent
Et les filles en valsant ont de ces rires de gorge
Qui font tomber les hommes plus rouges que des forges
Et le lendemain matin on porte sur le dos
Leurs péniches alourdies de souvenirs nouveaux
Quand on est un canal on salue au passage
Les belles walkyries du bout du paysage
Mais quand on est un homme
Né de ce pays là
Au canal de la Somme
On va rêver parfois
Mais quand on est un homme
Comme je le suis moi
Au canal de la Somme
On abandonne pas
Quand on est un canal au cours de nuits frileuses
On passe sous les ponts de villes orgueilleuses
On apprend au passage par quelque vieux vélo
L'histoire de ce poète qui s'est fichu à l'eau
Parce qu'un Dieu muet dans une église altière
Ne répondait jamais à sa moindre prière
On lui fait en secret au milieu du chenal
Comme un dernier hommage, une litière royale
Quand on est un canal on s'en va quelque part
Sceller nos fiançailles avec la grande mare
Et comme un continent qui serait sève et fontaine
On a un rendez–vous tout au bout de la plaine
Enfin l'ultime écluse, la dernière barrière
Et on court féconder le ventre de la mer
Pour lui faire un enfant qui aura comme toi
Les yeux gris de la Manche et le coeur de l'Artois
Mais quand on est un homme
Né de ce pays là
Au canal de la Somme
On va rêver parfois
On rêve d'un petit homme
Accroché à ton bras
Au canal de la Somme
Qui fait ses premiers pas
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