Il pleurait au bord du trottoir
Mains dans les poches, triste regard
Les godasses qui traînent sur le bitume
L' cerveau barbouillé d'un méchant rhume
Pas plus d'amis que de mouchoir
Se laissait aller au désespoir
C'est plus poli de faire ça chez soi
Mais de chez-soi, il n'en avait pas
Ses larmes dans le caniveau
Entraînaient papiers et mégots
Il les regardait d'un air très doux
S'en aller vers la bouche d'égout
Les passants détournaient les yeux
Un homme qui pleure, ça fait curieux
La tête enfoncée dans leur journal
Ils s' disaient "Ce type-là n'est pas normal"
Comme il n' pouvait plus s'arrêter
L' caniveau s' mit à déborder
Un flot de tristesse emplit la rue
Comme une rivière saugrenue
Les dauphins, les lions des fontaines
Soudain émus par tant de peine
Se mirent à couler tant et tant
Que tous les jets d'eau en firent autant
Irrésistible désespoir
Emportant voitures et trottoirs
En un instant, on vit disparaître
Tout un régiment de majorettes
Les femmes et les enfants d'abord
Y a de la tristesse à tribord
Des automobilistes périrent
Pour ne pas abandonner leur navire
Stupéfaits les gens aux fenêtres
Regardaient la rue disparaître
Mais n'osaient pas se jeter à l'eau
Leur fallait une bouée, un maillot
Pourtant, les plus désespérés
Se décidèrent à plonger
C'était joli du haut des balcons
De les voir sauter de leur prison
En sifflant "Chantons sous la pluie"
S'en furent dans la ville engloutie
En suivant l'homme si malheureux
Qui déjà se sentait beaucoup mieux
La la la la la
C'était une chanson d'évasion
Pour nettoyer son horizon
Quand la ville est trop laide et trop grise
Et trop cher le billet pour Venise
Et qu'on pleure au bord du trottoir
Mains dans les poches, triste regard
Les godasses qui traînent sur le bitume
L' cerveau barbouillé d'un méchant rhume
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