Tandis que le soleil a fini sa besogne
La savane brûlante avale un peu de vent
Les lions sont partis boire et tout est apaisant
La hyène défend sa poussiéreuse charogne
C’est un soir ancestral et de clartés orange
Un houleux troupeau de gnous, docile pâture
Ici, un jeune singe lèche sa blessure
La savane a parfois de ces repos étranges
Le monde est sillonné de lumières qui croisent
Derrière les magnoliers, des silhouettes noires
Et, dans le bruissement des feuillages, on peut voir
Les formes étirées d’un jeu d’ombres chinoises
C’est un cortège immense emportant des géants
Voyageurs lents et rudes et sombre caravane
Ils marchent en silence et soudain la savane
Se tait un peu pour voir passer les éléphants
Monstres rugueux et gris aux défenses de pierre
Les trompes happent des mouches qui agacent les yeux
Leur peau de boue séchée s’effrite et derrière eux
Ils partent en laissant des trainées de poussière
Ils sont peut-être cent qui traversent la nuit
Harassés par la soif et la pénible errance
Leurs masses balancées font une étrange danse
Et jusqu’où iront-ils, et d’où sont-ils partis ?
Là, une matriarche aride et centenaire
Majestueuse ancêtre, et terne, et crevassée
Et boiteuse, et rompue, les oreilles mâchées
Pressent que cette marche sera la dernière
Elle a vécu longtemps, la vie est admirable
Mais la douleur amère et perçante la broie
Hargneuse, âpre, sauvage, elle fait un dernier pas
Puis elle couche son corps en écrasant le sable
Allongée sur le flanc, le souffle qu’elle expire
Est un bruit rauque et long, avant d’être vaincue
Elle a levé les yeux et les autres l’ont vue
Ils se sont arrêtés, elle se laisse mourir
La savane a pu voir le spectacle étonnant
D’une foule de cent mastodontes attroupés
Qui forment une ronde autour de leur aînée
Accompagnant sa mort dans des barrissements
Puis, le cadavre éteint, tous les vivants s’en vont
C’est une courte pause au milieu de l’exil
Les petits se raccrochent à leur mère et la file
Des léviathans s’élance et rejoint l’horizon
Autour du corps gisant des charognards s’entassent
Becs, griffes et dents qui déchirent la peau
C’est un bruyant repas de chair et de sang chaud
Ils abandonneront bientôt une carcasse
La trêve de ce soir n’a duré qu’un instant
La savane reprend ses meurtres de la nuit
Les animaux se terrent, chassent, volent ou fuient
Ils oublient qu’ils ont vu passer les éléphants
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