Mohammed, qui venait d’épouser Kadidja,
N’était qu’un chamelier de l’Hedjas ; mais déjà
Las de voir adorer des idoles ingrates,
Son esprit méditait les sublimes sourates
Du Koran et rêvait la grandeur d’un seul Dieu,
En plein désert, devant l’infini du ciel bleu.
Or, à l’heure torride où le soleil accable
Les chameaux et les fait se coucher dans le sable,
Accroupis et brisés sur leurs rugueux genoux,
Mohammed, en sueur sous le poids du burnous,
Vit, près de lui, s’ouvrir une caverne sombre ;
Et, tenté par le calme et la fraîcheur de l’ombre,
Celui qui fut plus tard le Prophète et l’Émir
Dans ce trou de lion se coucha pour dormir ;
Et, lorsqu’ayant posé sous sa tête une pierre,
Il allait sommeiller et fermait la paupière,
Une énorme araignée, au ventre froid et gras,
Glissa de son long fil et courut sur son bras.
Brusquement mis sur pieds d un bond involontaire,
Mohammed rejeta l’insecte immonde à terre,
Et, frissonnant, sans lui laisser le temps de fuir,
Leva pour l’écraser sa sandale de cuir.
Mais soudain il songea que, puisque Dieu la crée,
La bête la plus laide est utile et sacrée,
Et que l’homme, déjà trop plein de cruauté,
Ne doit la mettre à mort que par nécessité ;
Et, clément, il laissa partir l’horrible bête.
Depuis lors bien du temps a passé.
Le Prophète
Aux ordres de la loi musulmane a soumis
Sa femme, ses enfants, ses parents, ses amis.
Chaque jour, à sa voix, l’Islam s’accroît du triple.
Aux plus lointains pays du désert maint disciple
S’en est allé, portant, cachés sous ses habits,
Les saints versets écrits sur des os de brebis ;
Et vingt tribus au seul Allah rendent hommages.
Pourtant les vieux Mekkains, adorateurs d’images,
Dont la grande mosquée accueillait à la fois
Trois cent soixante dieux d’or, d’argile et de bois,
Et ceux à qui les djinns font peur, et les sectaires
D’Hobal, et le bas peuple, avide de mystères,
Qui prit pour une idole et qui divinisa
La vierge byzantine avec l’enfant Issa,
Et tous ceux qui tuaient leurs filles en bas âge,
Ont pris en sainte horreur l’homme pieux et sage
Qui leur parle d’un Dieu qu’ils ne comprennent pas ;
Ils souillent de crachats la trace de ses pas ;
Et la calme douceur qu’il garde sous l’outrage
Augmente leur colère et redouble leur rage.
On brandit le candjiar, en lui montrant le poing,
Et le Prophète va périr, s’il ne fuit point.
Une nuit donc, il part, seul avec Abou-Beckre.
Or, songeant que parfois le proscrit qu’on exècre
Revient en conquérant terrible et meurtrier
Et courbe tous les fronts jusqu’à son étrier,
Les vieux cheicks, qui joignaient la prudence à la haine,
Envoyèrent après Mohammed, par la plaine,
Des cavaliers ayant l’ordre de l’égorger.
Mais le Prophète alors se souvint du berger.
Par des sentiers gravis jadis avec ses chèvres
Entraînant Abou-Beckre, et le doigt sur les lèvres,
Il put gagner sa grotte ancienne, il s’y cacha,
Et, pendant tout un jour, en vain on le chercha.
Ils étaient là, muets, dans l’ombre qui consterne,
Lorsque les assassins, à l’huis de la caverne,
Parurent, l’oeil au guet et l’arc déjà tendu.
Le Prophète frémit, en se croyant perdu ;
Mais, par protection du Très-Haut, l’araignée,
Du sage Mohammed autrefois épargnée,
Avait filé sa toile au seuil de ces rochers
Où les deux fugitifs étaient alors cachés ;
Et cette aérienne et fragile barrière
Suffit pour arrêter la bande meurtrière,
Qui revint sur ses pas, pensant qu’un corps humain
N’aurait pu se glisser dans cet étroit chemin
Sans détruire en passant l’araignée et ses toiles.
La nuit vint, et, marchant sous le ciel plein d’étoiles,
Le Prophète, sans crainte et libre, s’en alla.
Allah ! Allah ! il n’est pas d’autre Dieu qu’Allah !
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