Elle était laide depuis toujours
Personne lui avait parlé d'amour
C'était devenu une habitude
Les hommes disaient en la voyant
"T'aurais-t-y perdu en passant
Tes fesses dans un coup de vent trop rude ?
Dis-nous qui c'est qui a barboté
Ce que le bon Dieu avait dû poser
Dans le temps par devant ton corsage"
Un autre criait "Bois un coup de blanc
Peut-être qu'en s'étendant sur tes dents
Ça va donner du miroitage"
Et ça recommençait tous les jours
Les gars, ils étaient pas à court
C'était entré dans les usages
Elle répondait presque jamais
Elle savait bien que son manque d'attrait
C'était le point curieux du village
Pour comble de malheur, ses parents
Lui avaient donné un nom charmant
Aurore, tout comme à une princesse
Depuis qu'elle savait un peu causer
Elle l'avait jamais prononcé
Ou toute seule, pour calmer sa détresse
Un jour, voilà-t-il pas qu'un parent
Qui était parti depuis un bout de temps
Chercher des sous en Amérique
Avait pris des dispositions
Pour qu'elle hérite d'une belle maison
Et d'une rente assez sympathique
Alors, quand elle a eu tout ça
Dans son petit cerveau délicat
La laide, elle a pensé des choses
Et tout autour de sa maison
Elle a fait pour la belle saison
Un immense jardin de roses
Et puis, riant de sa laideur
En regardant pousser les fleurs
Sous le soleil aux douceurs blondes
La laide a compris qu'elle avait
Le droit de dire désormais
"J'ai embelli un coin du monde"
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