Souvent le malheureux songe à quitter la vie ;
L’espérance crédule à vivre le convie.
Le soldat sous la tente espère, avec la paix,
Le repos, les chansons, les danses, les banquets.
Gémissant sur le soc, le laboureur d’avance
Voit ses guérets chargés d’une heureuse abondance.
Moi, l’espérance amie est bien loin de mon coeur.
Tout se couvre à mes yeux d’un voile de langueur ;
Des jours amers, des nuits plus amères encore.
Chaque instant est trempé du fiel qui me dévore ;
Et je trouve partout mon âme et mes douleurs,
Le nom de Lycoris, et la honte et les pleurs.
Ingrate Lycoris ! à feindre accoutumée,
Avez-vous pu trahir qui vous a tant aimée ?
Avez-vous pu trouver un passe-temps si doux
A déchirer un coeur qui n’adorait que vous ?
Amis, pardonnez-lui ; que jamais vos injures
N’osent lui reprocher ma mort et ses parjures :
Je ne veux point pour moi que son coeur soit blessé,
Ni que pour l’outrager mon nom soit prononcé.
Ces amis m’étaient chers ; ils aimaient ma présence.
Je ne veux qu’être seul, je les fuis, les offense,
Ou bien, en me voyant, chacun avec effroi
Balance à me connaître et doute si c’est moi.
Est-ce là cet ami, compagnon de leur joie,
A de jeunes désirs comme eux toujours en proie,
Jeune amant des festin, des vers, de la beauté ?
Ce front pâle et mourant, d’ennuis inquiété,
Est celui d’un vieillard appesanti par l’âge,
Et qui déjà d’un pied touche au fatal rivage.
Sans doute, Lycoris, oui, j’ai fini mon sort
Quand tu ne m’aimes plus et souhaites ma mort.
Amis, oui, j’ai vécu ; ma course est terminée.
Chaque heure m’est un jour, chaque jour une année ;
Les amants malheureux vieillissent en un jour.
Ah ! n’éprouvez jamais les douleurs de l’amour
Elles hâtent encor nos fuseaux si rapides ;
Et, non moins que le temps, la tristesse a des rides.
Quoi, Gallus ! quoi ! le sort, si près de ton berceau,
Ouvre à tes jeunes pas ce rapide tombeau ?
Hélas ! mais quand j’aurai subi ma destinée,
Du Léthé bienfaisant la rive fortunée
Me prépare un asile et des ombrages verts :
Là, les danses, les jeux, les suaves concerts,
Et la fraîche naïade, en ses grottes de mousse,
S’écoulant sur des fleurs, mélancolique et douce.
Là, jamais la beauté ne pleure ses attraits :
Elle aime, elle est constante, elle ne ment jamais ;
Là, tout choix est heureux, toute ardeur mutuelle,
Et tout plaisir durable, et tout serment fidèle.
Que dis-je ? on aime alors sans trouble ; et les amants,
Ignorant le parjure, ignorent les serments.
Venez me consoler, aimables héroïnes.
Ô Léthé ! fais-moi voir leurs retraites divines ;
Viens me verser la paix et l’oubli de mes maux.
Ensevelis au fond de tes dormantes eaux
Le nom de Lycoris, ma douleur, mes outrages.
Un jour peut-être aussi, sous tes riants bocages,
Lycoris, quand ses yeux ne verront plus le jour,
Reviendra tout en pleurs demander mon amour ;
Me dire que le Styx me la rend plus sincère,
Qu’à moi seul désormais elle aura soin de plaire ;
Que cent fois, rappelant notre antique lien,
Elle a vu que son coeur avait besoin du mien.
Lycoris à mes yeux ne sera plus charmante :
Pourtant… Ô Lycoris ! ô trop funeste amante !
Si tu l’avais voulu, Gallus, plein de sa foi,
Avec toi voulait vivre et mourir avec toi.
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