On cherchait dans un bar un joueur d’accordéon
Lucien avait sorti son orchestre à boutons
Essoufflé, il pointa à l’adresse indiquée
Et poussa un battant d’un bleu karaoké
L’annonce était dessus, pas besoin d’un dessin
« C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens »
Il salua du menton un militaire assis
Demanda « c’est-y là ? », on lui dit « c’est ici »
Pas besoin de sortir l’instrument de sa housse
Le patron l’embaucha d’un claquement de pouce
Râlant d’une voix gaie comme un jour de Toussaint
« C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens »
Il tordit son soufflet jusqu’au matin très tôt
La barmaid ondulait en servant ses plateaux
Et lui piquait la peau et lui frôlait les doigts
Nom d’un chien !
« Tu joues bien », souriait-elle, il pensait « c’est pour toi »
Un regard en promesse dans le V de ses seins
« C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens »
Le militaire assis lançait des yeux vicieux
Mâchonnant un ticket dans ses crocs silencieux
À six heures, la barmaid éteignait la sono
Il quitta les bretelles de son pauvre piano
Lui glissant à l’oreille, un vrai marrant, Lucien
« C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens »
La rue était déserte, dehors il l’attendit
Un quidam en képi, du moins on aurait dit
Sembla suivre leurs pas jusqu’au seuil d’un hôtel
La ville avait le son d’une ruche en éveil
Un murmure s’élevait de ce furieux essaim
« C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens »
L’annonce a disparu à l’enseigne du troquet
Peut-être de fatigue, peut-être d’un hoquet
À trois portes de là un accordéoniste
A craqué ses poumons, nul n’a suivi la piste
D’un ticket mâchonné perdu dans les coussins
« C’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens »
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