Ballet. Vénus aux Reines
Théophile de Viau

Poème Ballet. Vénus aux Reines

Lorsque je sortis de la mer
Moins couverte d'eau que de flammes,
La beauté qui me fait aimer,
Me destina reine des âmes,
Et me dit que je céderai
A vos yeux qu'elle a fait mes rois.

Le Soleil montrant son flambeau
Par Cythère et par Amathonte,
Lorsqu'il eut vu le mien si beau,
Il faillit à mourir de honte;
Mais vous emportez aujourd'hui
L'avantage que j'eus sur lui.

L'étonnement qu'il eut aux cieux
Lorsque je me levai de l'onde,
Je le ressens devant vos yeux,
Qui sont les plus beaux yeux du monde:
Astres des esprits bienheureux,
Dont mes Amours sont amoureux.

Mes petits Amours, mes appas,
Et mes grâces les plus parfaites,
Belles reines, sont-elles pas
Aux mêmes places où vous êtes?
Je sais que véritablement
Votre cour est leur élément.

Les bords de Chypre, où mon autel
Autrefois en si belle estime
M'avait rendu chaque mortel
Tributaire d'une victime,
Sont déserts à cause de vous
Qui recevez les voeux de tous.

Ces princes qu'un devoir d'amour
Retenait en ma servitude,
Lassés d'un si mauvais séjour,
En ont fait une solitude,
Et rendent à vos majestés
Mon empire et leurs libertés.

Leur coeur dégoûté de mes lois,
Aussi bien que de mon visage,
Demande à captiver des rois
Quelque plus glorieux servage:
Vous seules avez des liens
Plus honorables que les miens.

Vos beautés font qu'avec raison
Ces princes m'ont été rebelles;
Craignez la même trahison
Quand vous ne serez plus si belles;
Mais si c'est par là seulement,
Ils sont serfs éternellement.