Hélas ! qu’il fut long, mon amie,
T’en souvient-il ?
Ce temps de douleur endormie,
Ce noir exil
Pendant lequel, tâchant de naître
À notre amour,
Nous nous aimions sans nous connaître !
Oh ! ce long jour,
Cette nuit où nos voix se turent,
Cieux azurés
Qui voyez notre âme, oh ! qu’ils furent
Démesurés !
J’avais besoin de toi pour vivre ;
Je te voulais.
Fou, je m’en allais pour te suivre,
Je t’appelais
Et je te disais à toute heure
Dans mon effroi :
C’est moi qui te cherche et qui pleure.
Viens. Réponds-moi.
Hélas ! dans ma longue démence,
Dans mon tourment,
J’avais tant souffert de l’immense
Isolement,
Et de cacher mon mal insigne,
Émerveillé
De gémir tout seul, comme un cygne
Dépareillé ;
J’étais si triste de sourire
Aux vains hochets
Dont s’était bercé mon délire ;
Et je marchais,
Si las d’être seul sous la nue,
Triste ou riant,
Que je ne t’ai plus reconnue,
En te voyant.
Et je t’ai blessée et meurtrie,
Et je n’ai pas,
Au seuil de la chère patrie,
Baisé les pas
De l’ange qui dans la souffrance
A combattu,
Et qui me rendait l’espérance
Et la vertu !
Ô toi dont sans cesse mes lèvres
Disent le nom,
Pardonne-moi tes longues fièvres,
Tes pleurs ! mais non,
J’en cacherai la cicatrice
Sous un baiser
Si long et si profond qu’il puisse
Te l’effacer.
Je veux que l’avenir te voie,
Le front vainqueur,
Serrée et tremblante de joie
Près de mon cœur ;
Écoutant mon ode pensive
Qui te sourit,
Et me donnant la flamme vive
De ton esprit !
Car à la fin je t’ai trouvée,
Force et douceur,
Telle que je t’avais rêvée,
Épouse et sœur
Qui toujours, aimante et ravie,
Me guériras,
Et qui traverseras la vie
Entre mes bras.
Plus d’exil ! Vois le jour paraître
À l’orient :
Nous ne sommes plus qu’un seul être
Fort et riant,
Dont le chant ailé se déploie
Vers le ciel bleu,
Gardant, comme une sainte joie,
L’espoir en Dieu,
Poursuivant, sans qu’on l’avertisse,
L’humble lueur
Qu’on nomme ici-bas la justice
Et le bonheur,
N’ayant plus ni regrets ni haine
Dans ce désert,
Et se ressouvenant à peine
Qu’il a souffert.
Oui, je t’ai retrouvée, et telle
Que je t’aimais,
Toi qui, comme un miroir fidèle,
Vis désormais
Ma vie, et je t’aime, je t’aime,
Je t’aime ! et pour
L’éternité, je suis toi-même,
Ô cher amour !
9 novembre 1866.