Ma douce, entrons dans le jardin abandonné,
Dans le jardin sauvage, exquis et funéraire
Où l’autrefois se plaît à roder, solitaire
Et farouche, tel un vieux roi découronné.
Entrons dans le jardin qu’un vent d’automne accable,
Où le silence est lent comme une femme en deuil,
Où les ronces d’hier font un mauvais accueil
A qui n’apporte point le regret adorable.
Dans le jardin où nul ne promène jamais
Son importun loisir et sa mélancolie,
Parmi les fleurs sans fraîche odeur et qu’on oublie,
Taisons-nous, comme au temps lointain où je t’aimais.
Assises toutes deux, amèrement lassées,
Sous les vieux murs que les brouillards lents font moisir,
Et n’ayant plus en nous l’espoir ni le désir,
Evoquons la douceur des tristesses passées.
Ici, les jeunes pas se font irrésolus,
Ici, l’on marche avec des fatigues d’esclave
En goûtant ce qu’il est de tristement suave
A sourire en passant à ce qu’on n’aime plus.
Puisque ici l’herbe seule est folle et vigoureuse,
Attardons-nous et rassemblons nos souvenirs.
Te souviens-tu des soirs dorés, des longs loisirs,
Et des contentements de ton coeur d’amoureuse ?
O mon amour ! quel beau passé nous fut donné
Cependant ! Respirons sa bonne odeur de rose
Dans ce jardin où le souvenir se repose,
Dans le calme du beau jardin abandonné…