Pour chanter la Bretagne et sa belle légende,
L’écume de la mer et la fleur de la lande,
Entre tous la Muse t’élut.
Mais, loin des vieux dolmens, loin des flots pleins d’épaves,
Nous aussi, nous aimons tes poèmes suaves.
Brizeux, barde d’Arvor, salut !
Moi, le Parisien, le troublé, le sceptique,
Je suis, devant les fleurs de ton bouquet rustique,
Grisé du parfum pénétrant.
Tes vers ne sont qu’amour, religion, nature ;
Ton coeur resta naïf, ta pensée était pure ;
Et je t’envie en t’admirant.
Chrétien, tu n’as jamais oublié tes prières,
Et tu passas sans voir, dans nos cités de pierres,
Toutes les fanges du pavé ;
Tendre et fidèle esprit, tu chantais comme on prie,
Et répétais les noms d’Arvor et de Marie
Comme le Pater et l’Ave.
Oh ! comme il a senti profondément tes charmes,
Pays mouillé, touchant comme un visage en larmes !
Qu’il vous aimait, landes, rochers,
Arbres que l’Océan courbe sous ses haleines,
Et vous surtout, Bretons, coeurs forts comme vos chênes
Et pieux comme vos clochers !
Vous l’honorez, c’est bien. Mais, devant cette image,
Le pays tout entier s’associe à l’hommage
Et veut s’incliner aujourd’hui.
Ce simple et doux Brizeux, c’est notre Théocrite ;
Son oeuvre en notre cher langage fut écrite.
Tous les Français sont fiers de lui.
Et nul ne fait entre eux la moindre différence,
N’est-ce pas, ô poète ? et si, pour notre France,
Revenaient des jours périlleux,
Nous partagerions tous sa gloire ou sa misère,
Et Jean Chouan donnerait les grains de son rosaire
Pour charger le fusil des Bleus.
Quand Paris assiégé poussait de sombres râles,
Ils étaient avec nous, les Bretons aux yeux pâles,
Aux longs cheveux couleur d’épis ;
Et ces braves enfants ― on s’en souvient encore ―
Portaient, en défendant le drapeau tricolore,
Les hermines sur leurs képis.
Donc, Bretons et Français, honorons le poète,
Et, de plus, gardons tous de cette noble fête
Un salutaire enseignement.
Il fut errant, malade et misérable presque,
Celui que vous voyez dans ce lieu pittoresque
Se dresser sur ce monument.
Mais qu’importe la vie et son dur esclavage,
Barde, si le laurier mêlé d’ajonc sauvage
Orna ton cercueil de sapin,
Et si, trente ans plus tard, jugeant ton oeuvre bonne,
La Postérité vient qui fait justice et donne
Du marbre à qui manqua de pain ?
Quand de tant d’orgueilleux la gloire est abattue,
Tu triomphes, poète, et voici ta statue ;
Ton nom plane sur les sommets.
Le curé d’Arzannô le disait bien au prône :
Celui qui jette bas les puissants de leur trône
Prend l’humble et l’exalte à jamais.