Stances : Puisque, sourde à mon voeu, la fortune jalouse…
Charles-Augustin Saint Beuve

Poème Stances : Puisque, sourde à mon voeu, la fortune jalouse…

IMITÉ DE KIRKE WHITE.

Puisque, sourde à mon vœu, la fortune jalouse
Me refuse un toit chaste ombragé d’un noyer,
Quelques êtres qu’on aime et qu’on pleure, une épouse,
Et des amis, le soir, en cercle à mon foyer,

Ô nobles facultés, ô puissances de l’âme,
Levez-vous, et versez à ce cœur qui s’en va
L’huile sainte du fort, et ranimez sa flamme ;
Qu’il oublie aujourd’hui ce qu’hier il rêva.

Lorsque la nuit est froide, et que seul, dans ma chambre,
Près de mon poêle éteint j’entends siffler le vent,
Pensant aux longs baisers qu’en ces nuits de décembre
Se donnent les époux, mon cœur saigne, et souvent,

Bien souvent je soupire, et je pleure, et j’écoute.
Alors, ô saints élans, ô prière, arrivez ;
Vite, emportez-moi haut sous la céleste voûte,
À la troisième enceinte, aux parvis réservés !

Que je perde à mes pieds ces plaines nébuleuses,
Et l’hiver, et la bise assiégeant mes volets !
Que des sphères en rond les orgues merveilleuses
Animent sous mes pas le jaspe des palais ;

Que je voie à genoux les Anges sans paroles ;
Qu’aux dômes étoilés je lise, triomphant,
Ces mots du doigt divin, ces mystiques symboles,
Grands secrets qu’autrefois connut le monde enfant ;

Que lisaient les vieillards des premières années,
Qu’à ses fils en Chaldée enseignait chaque aïeul….
Sans plus songer alors à mes saisons fanées,
Peut-être j’oublierai qu’ici-bas je suis seul.