Poème Maria

Incomtum Lacenae
More comam religata nodum.
HORACE

A M. DE LURDE

Sur un front de quinze ans la chevelure est belle;
Elle est de l’arbre en fleurs la grace naturelle,
Le luxe du printemps et son premier amour:
Le sourire la suit et voltige alentour;
La mère en est heureuse, et dans sa chaste joie
Seule en sait les trésors et seule les déploie;
Les coeurs des jeunes gens, en passant remués,
Sont pris aux frais bandeaux décemment renoués;
Y poser une fleur est la gloire suprême :
Qui la pose une fois la détache lui-même.

Même aux jeunes garçons, sous l’airain des combats,
La boucle à flots tombans, certes, ne messied pas :
Qu’Euphorbe si charmant, la tête renversée,
Boive aux murs d’Ilion la sanglante rosée,
C’est un jeune olivier au feuillage léger,
Qui, tendrement nourri dans l’enclos d’un verger,
N’a connu que vents frais et source qui s’épanche,
Et, tout blanc, s’est couvert de fleurs à chaque branche;
Mais d’un coup furieux l’ouragan l’a détruit :
Il jonche au loin la terre, et la pitié le suit.

Quand une vierge est morte, en ce pays de Grèce,
Autour de son tombeau j’aperçois mainte tresse,
Des chevelures d’or, avec ces mots touchans :
De l’aimable Timas, ou dÉrinne aux doux chants,
La cendre ici repose : à l’aube d’hyménée,
Vierge, elle s’est sentie au lit sombre entraînée.
Ses compagnes en deuil, sous le tranchant du fer,
Ont coupé leurs cheveux; leur trésor le plus cher.

Et que fait parmi nous, dans sa ferveur sacrée,
Héloïse elle-même, Amélie égarée,
Celle qui, sans retour, va se dire au Seigneur,
Que fait-elle d’abord que de livrer l’honneur
De son front virginal au fer du sacrifice,
Pour être sûre enfin que rien ne l’embellisse,
Que rien ne s’y dérobe à l’invisible Époux ?
Du rameau sans feuillage aucun nid n’est jaloux.
Or, puisque c’est l’attrait dans la belle jeunesse
Que ce luxe ondoyant que le zéphyr caresse,
Et d’où vient jusqu’au sage un parfum de désir,
Je veux redire ici, d’un vers simple à plaisir,
Non pas le jeu piquant d’une boucle enlevée,
Mais sur un jeune front la grace préservée.

J’étais, me dit un jour un ami voyageur,
D’un souvenir lointain ressaisissant la fleur,
J’étais en Portugal, et la guerre civile,
Tout d’un coup s’embrâsant, nous cerna dans la ville :
C’est le lot trop fréquent de ces climats si beaux;
On y rachète Éden par les humains fléaux.
Le blocus nous tenait, mais sans trop se poursuivre;
Dans ce mal d’habitude, on se remit à vivre;
La nature est ainsi : jusque sous les boulets,
Pour peu que cela dure, on rouvre ses volets;
On cause, on s’évertue, et l’oubli vient en aide;
Le marchand à faux poids vend, et le plaideur plaide;
La coquette sourit. Chez le barbier du coin,
Un Français, un Gascon (la graine en va très loin),
Moi j’aimais à m’asseoir, guettant chaque figure :
Molière ainsi souvent observa la nature.
Un matin, le barbier me dit d’un air joyeux :
Monsieur, la bonne affaire! (et sur les beaux cheveux
D’une enfant là présente et sur sa brune tête
Il étendait la main en façon de conquête),
Pour dix francs tout cela! la mère me les vend.
- Quoi? Dis-je en portugais, la pitié m’émouvant,
Quoi? Dis-je à cette mère empressée à conclure,
Vous venez vendre ainsi la plus belle parure
De votre enfant; c’est mal. Le gain vous tente : eh! bien;
Je vous l’achète double, et pour n’en couper rien.
Mais il faut m’amener l’enfant chaque semaine :
Chaque fois un à-compte, et la somme est certaine.
Qui fut sot? mon barbier. il sourit d’un air fin,
Croyant avoir surpris quelque profond dessein.
La mère fut exacte à la chose entendue :
Elle amenait l’enfant, et je payais à vue.
Puis, lorsqu’elle eut compris que pour motif secret
Je n’avais, après tout, qu’un honnête intérêt,
Elle me l’envoya seule; et l’enfant timide
Entrait, me regardait de son grand oeil humide,
Puis sortait emportant la pièce dans sa main.
A force toutefois de savoir le chemin,
Elle s’apprivoisa : comme un oiseau volage,
Que le premier automne a privé du feuillage,
Et qui, timidement laissant les vastes bois,
Se hasarde au rebord des fenêtres des toits;
Si quelque jeune fille, ame compâtissante,
Lui jette de son pain la miette finissante,
Il vient chaque matin, d’abord humble et tremblant,
Fuyant dès qu’on fait signe, et bientôt revolant;
Puis l’hiver l’enhardit, et l’heure accoutumée :
Il va jusqu’à frapper à la vitre fermée;
Ce que le coeur lui garde, il le sait, il y croit;
Son aile s’enfle d’aise, il est là sur son toit;
Et si, quand février d’un rayon se colore,
La fenêtre entr’ouverte et sans lilas encore
Essaie un pot de fleur au soleil exposé,
Il entre en se jouant, innocent et rusé;
Il vole tout d’abord à l’hôtesse connue,
En sons vifs et légers lui rend la bienvenue,
Et becquète son doigt ou ses cheveux flottans,
Comme un gai messager des bonheurs du printemps.

  Telle de Maria (c’était ma jeune fille)
Jusqu’à moi, du plus loin, la caresse gentille
Souriait, s’égayait, et d’un air glorieux
Elle accourait montrant à deux mains ses cheveux.
Je pourrais bien ici faire le romanesque,
Vous peindre Maria dans la couleur mauresque,
Quelque gitana fière, à l’oeil, sombre, au front d’or;
Mais je sais peu décrire et moins mentir encor.
Non, rien de tout cela, sinon qu’elle était belle,
Belle enfant comme on l’est sous ce climat fidèle,
Comme l’est tout beau fruit et tout rameau vermeil
Prêt à demain éclore au pays du soleil.
Elle avait jusque-là très peu connu sa grace;
Elle oubliait son heure et que l’enfance passe.
L’intérêt délicat qu’un regard étranger
Marquait pour les trésors de son front en danger
Eveilla dans son ame une aurore naissante :
Elle se comprit belle et fut reconnaissante.
Pour le mieux témoigner, en son charme innocent,
La jeune fille en elle empruntait à l’enfant;
Ses visites bientôt n’auraient été complètes
Sans un bouquet pour moi de fraîches violettes,
Qu’elle m’allait cueillir, se jouant des hasards,
Jusque sous les boulets, aux glacis des remparts.

Souvenir odorant, même après des années!
Violettes d’un jour, et que rien n’a fanées!