À l’heure où l’on est loin de la foule envieuse,
Quand la neige, à minuit, lente, silencieuse,
Tombe aux toits endormis,
Et que seul, ô David, dans ton atelier sombre
Tu veilles au milieu de tes bustes sans nombre
Comme au milieu d’amis ;
Quand ton poêle s’éteint ; quand ta lampe mourante
Tremble à tous ces fronts blancs, et, comme une âme errante
Passe et joue à l’entour,
Bien des fois, n’est-ce pas ? l’enthousiasme austère
Par degrés te saisit et t’enlève à la terre,
Épris d’un noble amour !
Tu penses à la gloire, à l’oubli qu’on redoute,
À semer ici-bas le marbre sur la route
Où d’autres vont venir,
À prendre rang un jour au Panthéon sublime
Des hôtes immortels que ton ciseau ranime
Et garde à l’avenir.
Et déjà sous la lampe et ses rayons débiles,
Tu vois autour de toi tes marbres immobiles
Frémir et s’ébranler,
Ils vivent : un regard sort de chaque paupière ;
Comme le Commandeur, tous ces hommes de pierre
Te font signe d’aller.
Et bientôt, s’agitant, ils passent sur ta tête,
Puis repassent ; et toi, tu voudrais à la fête
Suivre ces grands vieillards :
Telles sur Ossian, au sein des nuits neigeuses,
Se penchent des aïeux les Ombres voyageuses
Que bercent les brouillards.
Le pan de leur manteau flotte aux vents et te touche ;
Ému, tu sens la voix expirer à ta bouche
Et tes yeux se mouiller ;
Et l’extase pour toi prolonge ce beau rêve,
Jusqu’à ce que ta lampe en mourant te l’enlève
Et te vienne éveiller.
Hélas ! dans les cités la foule qui sommeille ;
Çà et là, vers minuit, l’artiste en pleurs qui veille
Et lève au ciel les bras,
Et quelques noms sacrés que toujours lui ramène
Un ardent souvenir, c’est là la gloire humaine,
David, et tu l’auras !
Tu l’auras ; car, puisant dans ta pierre féconde,
D’Argos à Panama tu vas orner le monde
D’illustres monuments ;
Tu peuples de héros les vieux ponts de nos villes,
Les continents nouveaux, et les lointaines îles,
Et les tombeaux dormants.