Océan, Océan, quand ta houle écumante
Roule, vague sur vague, aux coups de la tourmente,
Un flot majestueux, d’un seul jet dans les airs,
Monte submergeant tout de son élan sublime :
Comme un cratère on voit au vent fumer sa cime,
Et de sa masse énorme il domine les mers.
Les ondulations que son volume écrase
Viennent incessamment se briser à sa base ;
L’eau bouillonne et bondit vers son front orgueilleux,
Mais lui, voyez ! debout au fort de la tempête,
D’écume et de vapeurs il couronne sa tête,
Maîtrisant à ses pieds les assauts furieux.
Tel de ces pics que tu domines,
Superbe mont salazien,
Tel de ces montagnes voisines
Jaillit ton front aérien.
Immense, immuable, immobile,
Du plateau central de notre île
Ton sommet auguste et tranquille
Se dresse, embrassant l’horizon ;
Un hiver éternel y siège,
Et tes flancs que la nue assiège,
Se couvrent de glace et de neige,
A jamais chauves de gazon.
L’œil qui du sein des mers profondes
Contemple ta mâle beauté,
Sur la verte fille des ondes
Aime ta farouche âpreté.
Tu sembles, dans le vide immense,
Du vent léger qui se balance,
Ou de l’ouragan qui s’élance,
Écouter le bruit dans les cieux,
Et, comme un aïeul solitaire,
Sur l’océan et sur la terre
Fixant un regard centenaire,
Veiller, penseur silencieux.
Quand le soleil s’éteint et que l’ombre est venue,
Quand la lune se lève au-dessus de la nue,
La mer autour de toi roule, mouvant miroir ;
Des cieux l’astre des nuits blanchit les vastes dômes,
Et tu vois les vaisseaux, comme de blancs fantômes,
Glisser à l’horizon dans les vapeurs du soir.
Et le hardi pêcheur dont la barque rapide
Bondit légèrement sur la nappe limpide,
Et l’oiseau que la nuit a surpris sur les mers,
Voyant bleuir au ciel ta forme aérienne,
Orientant leur vol sur ta cime lointaine,
S’avancent au roulis berceur des flots amers.
Et ton front d’un azur intense,
Aux clartés de l’astre songeur,
Apparaît plus sombre à distance
A l’œil pensif du voyageur.
Il voit l’essaim des paille-en-queue,
Qui font d’un coup d’aile une lieue,
Tachant de blanc la voûte bleue,
Regagner l’île aux verts îlots.
Et ta masse antique et profonde,
Qu’une clarté d’opale inonde,
Semble le noir spectre de l’onde
Debout sur l’abîme des flots.
Ah ! devant ton profil austère
Combien de siècles ont passé !
Sur ton granit que rien n’altère
Le pas du temps s’est effacé.
Que de jours de calme et d’orage,
Et de trombe et d’ardent mirage,
Et de tourmente et de naufrage,
Pour ton œil séculaire ont lui !
Tempête, ombre, aquilon, lumière,
Tout rentra dans la nuit première ;
Mais toi, dans ta stature altière,
Tu fus alors comme aujourd’hui.
Alors comme aujourd’hui les rougeurs de l’aurore,
Et la pourpre des soirs que l’ombre décolore,
Sur ta tête de neige ont répandu leurs feux ;
Et quand l’aube ou la nuit vint sourire à la terre,
Dans le vide étoilé tu brillas solitaire,
Comme un phare aux reflets doux et mystérieux.
Alors comme aujourd’hui de tes rochers arides
Tu versas dans nos bois la nappe aux eaux limpides ;
Et défiant toujours le vent dévastateur,
Et drapant tes flancs nus du manteau des nuages,
Adamastor des monts et trônant sur les âges,
Tu levas dans les cieux ton front dominateur.
O colosses de la nature,
Pics d’inaccessible hauteur,
Dont l’inébranlable structure
Brave l’ouragan destructeur !
Blocs altiers, masse indéfinie,
Gouffres, chaos, dés harmonie,
Que la main d’un fatal génie
Sema dans ces lieux écartés ;
Gerbes d’éclairs, sombres nuages,
Nids fulgurants d’où les orages
S’élancent en éclats sauvages
Au sein des monts épouvantés ;
Torrent, gouffre, océan, tempête,
Emportez-moi dans vos terreurs,
Car j’aime à sentir sur ma tête
Passer le vent de vos fureurs !
J’aime à contempler vos abîmes,
A mesurer vos hautes cimes,
A suivre vos houles sublimes,
A me remplir de votre effroi !
Au vent, à l’éclair, à la flamme
Je veux, je veux mêler mon âme !
Mon âme en tes grandeurs t’acclame,
O nature ! et grandit en moi.