Marie, ô douce enfant aux grands yeux de gazelle,
Qui naquis sur un sol où croissent les palmiers ;
Toi dont l’âme charmante et les songes premiers
Se sont ouverts, bercés à la voix fraternelle
Des bengalis et des ramiers !
O douce enfant ! ta vie aux flots riants et calmes,
Pareille aux bassins bleus de mon climat natal,
N’a jamais réfléchi dans son sein virginal
Que la liane en fleur et l’arbre aux vertes palmes
Penchés sur son mouvant cristal.
Sous les bambous lustrés où l’oiseau de la Vierge
Fait son nid, où la brise a d’ineffables voix,
Au pied du morne, abri de la biche aux abois,
Parmi les blancs lotus qui parfumaient ta berge,
Ton onde errait, source des bois !
Le soleil sous le dôme où ton urne s’épanche,
En rayons tamisés te versait sa clarté,
Et l’astre aux feux d’argent des tièdes nuits d’été,
Comme un oiseau, semblait passer de branche en branche,
Pour se mirer dans ta beauté.
Le poète qui rêve au fond de nos ravines,
Ivre d’ombre et d’oubli, charme des lieux déserts,
En t’écoutant courir sous les framboisiers verts,
Sentait, enveloppé de tes fraîcheurs divines,
Chanter en lui l’esprit des vers.
Et voici que tes flots, changeant leur destinée,
Loin du lit maternel vont prendre un autre cours ;
L’oranger te sourit au rivage où tu cours,
Et tu vas réfléchir dans ton eau fortunée
D’autres bonheurs, d’autres amours.
Et moi, moi que berçait ta voix parmi les mousses,
Plongé dans le présent, j’oubliais l’avenir.
Un jour vient où la vigne à l’ormeau veut s’unir ;
Et l’enfant aux grands yeux, l’enfant des Pamplemousses
N’est plus pour nous qu’un souvenir !
Et c’est la vie, hélas ! tout change et rien ne dure.
L’été sort du printemps, du bouton naît la fleur.
Pardonne à ces regrets que dément ton bonheur !
Ma pensive amitié, belle enfant, se rassure,
Voyant le choix fait par ton cœur.
L’âme honnête et virile à ta jeune âme unie,
D’un monde aux durs sentiers t’aplanira le sol.
Vers le nid du ramier, colombe, prends ton vol !
Nous léguons notre vierge, – une autre Virginie –
Aux dévoûments d’un autre Paul !