Dans ces prés fleuris
Qu’arrose la Seine,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis.
J’ai fait, pour vous rendre
Le destin plus doux,
Ce qu’on peut attendre
D’une amitié tendre ;
Mais son long courroux
Détruit, empoisonne
Tous mes soins pour vous,
Et vous abandonne
Aux fureurs des loups.
Seriez-vous leur proie,
Aimable troupeau,
Vous, de ce hameau
L’honneur et la joie ;
Vous qui, gras et beau,
Me donniez sans cesse
Sur l’herbette épaisse
Un plaisir nouveau ?
Que je vous regrette !
Mais il faut céder :
Sans chien, sans houlette,
Puis-je vous garder ?
L’injuste fortune
Me les a ravis.
En vain j’importune
Le ciel par mes cris ;
Il rit de mes craintes,
Et, sourd à mes plaintes,
Houlette ni chien,
Il ne me rend rien.
Puissiez-vous, contentes
Et sans mon secours,
Passer d’heureux jours,
Brebis innocentes,
Brebis mes amours !
Que Pan vous défende :
Hélas ! Il le sait,
Je ne lui demande
Que ce seul bienfait.
Oui, brebis chéries,
Qu’avec tant de soin
J’ai toujours nourries,
Je prends à témoin
Ces bois, ces prairies,
Que, si les faveurs
Du dieu des pasteurs
Vous gardent d’outrages,
Et vous font avoir
Du matin au soir
De gras pâturages,
J’en conserverai,
Tant que je vivrai,
La douce mémoire,
Et que mes chansons
En mille façons
Porteront sa gloire,
Du rivage heureux
Où, vif et pompeux,
L’astre qui mesure
Les nuits et les jours,
Commençant son cours,
Rend à la nature
Toute sa parure,
Jusqu’en ces climats
Où, sans doute las
D’éclairer le monde,
Il va chez Téthys
Rallumer dans l’onde
Ses feux amortis