Poème A Abel

Abel, doux confident de mes jeunes mystères,
Vois, mai nous a rendu nos courses solitaires.
Viens à l’ombre écouter mes nouvelles amours ;
Viens. Tout aime au printemps, et moi j’aime toujours.
Tant que du sombre hiver dura le froid empire,
Tu sais si l’aquilon s’unit avec ma lyre.
Ma Muse aux durs glaçons ne livre point ses pas ;
Délicate, elle tremble à l’aspect des frimas,
Et près d’un pur foyer, cachée en sa retraite,
Entend les vents mugir, et sa voix est muette.
Mais sitôt que Procné ramène les oiseaux,
Dès qu’au riant murmure et des bois et des eaux,
Les champs ont revêtu leur robe d’hyménée,
A ses caprices vains sans crainte abandonnée,
Elle renaît ; sa voix a retrouvé des sons ;
Et comme la cigale, amante des buissons,
De rameaux en rameaux tour à tour reposée,
D’un peu de fleur nourrie et d’un peu de rosée,
S’égaye, et, des beaux jours prophète harmonieux,
Aux chants du laboureur mêle son chant joyeux ;
Ainsi, courant partout sous les nouveaux ombrages,
Je vais chantant Zéphyr, les nymphes, les bocages,
Et les fleurs du printemps et leurs riches couleurs,
Et mes belles amours, plus belles que les fleurs.