Fragment d'un poème de Suzanne
C'était près d'une source à l'onde pure et sombre,
Le large sycomore y répandait son ombre.
Là, Suzanne, cachée aux cieux déjà brûlants,
Suspend sa rêverie et ses pas indolents,
Sur une jeune enfant que son amour protège
S'appuie, et sa voix douce appelle le cortège
Des filles de Juda, de Gad et de Ruben
Qui doivent la servir et la descendre au bain;
Et toutes à l'envi, rivales attentives,
Détachent sa parure entre leurs mains actives.
L'une ôte la tiare où brille le saphir
Dans l'éclat arrondi de l'or poli d'Ophir;
Aux cheveux parfumés dérobe leurs longs voiles,
Et la gaze brodée en tremblantes étoiles;
La perle, sur son front enlacée en bandeau,
Ou pendante à l'oreille en mobile fardeau;
Les colliers de rubis, et, par des bandelettes,
L'ambre au cou suspendu dans l'or des cassolettes.
L'autre fait succéder les tapis préparés
Aux cothurnes étroits dont ses pieds sont parés;
Et, puisant l'eau du bain, d'avance elle en arrose
Leurs doigts encore empreints de santal et de rose,
Puis, tandis que Suzanne enlève lentement
Les anneaux de ses mains, son plus cher ornement,
Libres des noeuds dorés dont sa poitrine est ceinte,
Dégagés des lacets, le manteau d'hyacinthe,
Et le lin pur et blanc comme la fleur du lis,
Jusqu'à ses chastes pieds laissent couler leurs plis.
Qu'elle fut belle alors! Une rougeur errante
Anima de son front la blancheur transparente;
Car, sous l'arbre où du jour vient s'éteindre l'ardeur,
Un oeil accoutumé blesse encore sa pudeur;
Mais, soutenue enfin par une esclave noire,
Dans un cristal liquide on croirait que l'ivoire
Se plonge, quand son corps, sous l'eau même éclairé,
Du ruisseau pur et frais touche le fond doré.
Écrit en 1821.