Diam’s a marqué toute une époque et mis une raclée à toute la scène rap française - personne n’oserait aujourd’hui remettre en question la grandeur de sa carrière. Pour autant, sa réussite n’a pas ouvert la voie plus que ça à d’autres jeunes femmes en quête de succès dans le rap français. Les Etats-Unis ont Nicki Minaj et Cardi B, la France a eu dans la même veine Liza Monet… Autant dire que ça n’a pas pris. Ces derniers temps ont néanmoins vu naître des rappeuses qui, doucement mais sûrement parviennent à se faire un nom dans le rap game.
Les femmes dans le rap, une rareté qui s’explique par le système d’une société dominée par les hommes
Une légende consisterait à faire croire que le rap est moins mysogine que l’on ne penserait. C’est une utopie attendrissante quand on sait ce qu’il en est. Les textes des rappeurs sont toujours aussi rabaissants pour les femmes, les objectifiants, jouant sur des clichés sexistes inlassablement. De même pour le sort que l’on voue aux femmes se lançant dans le rap : constamment tournées en dérision quoiqu’elles décident de faire, tant en kickant sale qu’en adoptant des tons plus délicats. Dans le premier cas elle est masculinisée à outrance, dans le second sexualisée à l’excès.
L’explication que l’on peut trouver à ce phénomène prend racine dans une socialisation encore et toujours genrée : pour caricaturer, un jeune garçon peut et se doit même d’être une brute, d’aimer le foot et d’écouter du rap, il n’est donc pas étonnant s’il se met à en produire. Une jeune fille en revanche se doit d’être douce, d’écouter des musiques « de fille », de s’habiller avec élégance sans être vulgaire, et si elle se lance dans la musique, d’avoir des thématiques de « fille » - en gros, de parler d’amour sans jamais être virulente dans ses propos. Des normes qui ne collent donc en rien avec les codes du rap, et les femmes qui se lancent dedans sont ainsi marginalisées autant par leurs proches que par la scène musicale, sans oublier que le rap pour les femmes est perçu - à raison - comme une forme d’émancipation féminine, or on le sait, la société par son système est encore profondément patriarcale, alors tout ce qui offre plus de liberté à la femme est encore méticuleusement empêché ou du moins très encadré. Autant dire que pour se lancer dans le rap en tant que femme, il faut sincèrement le vouloir.
De la sensualité à la sobriété, un équilibre difficile à trouver, source de critiques
L’exemple de Shay est des plus éloquents. Son style des plus ravageurs, sa sensualité et sa condition de femme noire a fait plus parler d’elle que sa musique. Et pourtant, son dernier album Antidote est assez qualitatif musicalement, avec des titres tels que BXL, Notif ou encore Jolie, la jeune bruxelloise touche à tout, mais rien à faire, elle continue de faire l’objet de raillerie. Pourtant tête d’affiche du rap féminin belge, elle n’est toujours pas prise au sérieux, en témoigne les critiques reçues à la suite de son passage dans Planète Rap. Remettons les pendules à l’heure : Shay excelle dans la création de son univers, avec une esthétique bien propre à elle qui la rend reconnaissable parmi mille autres, et sa voix cassée est un véritable atout dans sa musique, quoiqu’en diront ses détracteurs misogynes.
Chilla quant à elle, fera moins polémique. Moins excentriques, plus lisse, elle fait du « rap » qui se rapproche plutôt de la variété française. Elle osera quelques titres qui se veulent quelque peu « clivants » tels que BalanceTonPorc mais… c’est une affirmation en douceur. Dans un contexte où le féminisme est un des enjeux sociétaux les plus importants, au coeur de toutes les conversation, un titre tel que celui-ci n’est pas vraiment une prise de risque, comme un Balance ton quoi d’Angèle. Moins provocante, moins excentrique, moins affirmée, Chilla est la rappeuse qu’on peut parfaitement inviter sur tous les plateaux. On regrette néanmoins cette retenue qui cache un potentiel énorme encore inexploité. Saluons tout de même la performance, on est ravis de voir une femme réussir sans trop d’embûches dans ce milieu d’hommes, d'autant qu'elle demeure très talentueuse, et qu'il est indéniable qu'elle cache un univers pour le moins intéressant.
Des univers originaux qui devraient pourtant mettre tout le monde d’accord
Dans un tout autre registre, Lala &ce parvient à se faire progressivement une place dans le rap game. Sa forte personnalité, son univers et sa capacité à aborder des sujets tout à fait tabous dans le monde du rap - l’homosexualité - la distinguent de tout ce qui se fait communément chez les femmes. Lala &ce est authentique : pas d’extravagance mais pas de sobriété non plus, elle assume son style jusqu’au bout, et visiblement le public accroche. Son dernier titre Gargamel aurait sans doute pu mieux réussir en termes d’audience s’il avait été produit par un homme, il n’en demeure pas moins qu’il atteint une qualité artistique assez exceptionnelle, avec cette voix grave et profonde à en faire vibrer.
Parmi celles qui ont choisi l’équilibre on peut compter Kitsune Kendra, DJ et rappeuse qui à la fois en impose par son style extravagant, entre streetwear et sensualité assumée, avec lequelle elle joue dans ses clips qui témoignent d’un véritable sens de l’esthétique. La jeune femme ne laisse aucune place à quelconque forme d’intimidation, et incarne la force de la féminité dans toute sa splendeur. Une voix grave sur des titres qui affirment sa condition de femme noire avec fierté : Kendra est de celles qui parviennent à se faire une place dans le rap game en gardant toute leur authenticité, si bien qu’elle est validée par Jok’air, qui partage avec elle le titre Jeune papa, aux côtés de Leto. Une artiste on ne peut plus prometteuse donc.
Dans un style assez similaire, on vous parlait de Lous and the Yakuza dans un précédent article. Elle aussi jeune rappeuse noire, elle arrive à imposer son style avec un charisme sans égal sur des morceaux tels que Tout est gore. Elle aussi validée par une tête d’affiche - Damso, qui n’hésite pas à lui faire un shout-out dans son titre Kiétu - elle présage d’être de ces noms incontournables ces prochaines années, d’autant que son style de musique peut vraiment atteindre la scène internationale.
Les femmes ne sont pas inexistantes dans le rap donc, puisque celles citées et tant d’autres telles que Meryl, Yseult, ou encore Lean Chihiro commencent à se faire un nom et à se constituer un public fidèle. Ces artistes-là, on l’espère, incarneront peut-être un modèle pour toutes celles qui hésitent encore à se lancer. Les codes du rap français étant encore trop figés et restrictifs, la nouveauté apportée par ces artistes féminines qui ont toutes leur originalité propre dépassant tous les clivages pourrait les amener à s’ouvrir à de nouveaux univers pour le moins enrichissants pour la sphère musicale.