Les rappeurs, aussi rebelles et street-crédibles puissent-ils être, demeurent des plus expressifs de l’amour qu’ils portent à leurs mamans. Quand il est question de leur génitrice, ils perdent toute forme de brutalité, toute virulence - sauf à ceux qui oseraient s’attaquer à elles - pour devenir de doux agneaux toujours plus élogieux à leurs égards. Il faut dire qu’elles sont bien courageuses d’avoir supporté toute une vie certains d’entre eux… Retour sur ces grandes femmes qui ont donné naissance aux plus grands génies de la musique de ces dernières années.
Il faut se saisir d’une réalité frappante quand on se penche sur le vécu des rappeurs : bien souvent, ils sont bien loin d’avoir grandi dans les meilleures conditions sociales. Bien qu’ils soient aujourd’hui fréquemment à la tête de l’empire de la musique, leur destin est le fruit d’un travail ardu couplé à une chance inouïe, puisque la fatalité de la pauvreté semblait plutôt s’abattre sur eux de prime abord.
Ainsi, leur enfance a souvent été marquée par des conflits familiaux, des séparations familiales, des discriminations liées à leur couleur de peau ainsi qu’à leur pauvreté. Leurs mères ont été des figures majeures de leur jeunesse - souvent les seules, d’ailleurs - qu’ils considèrent comme leurs héroïnes. Sans leur dévotion et sans leur soutien, ils ne seraient sans doute parvenus à une telle ascension sociale. Si les relations n’ont pas toujours été au beau fixe, des années après le constat est commun à tous : sans ces grandes femmes ils n’auraient jamais été de tels artistes. Elles sont leur source d’inspiration musicale, mais également leur modèle de vie. Tous aspirent à un jour avoir la même force qu’elles ont eu pour les éduquer.
« And even as a crack fiend, mama, you always was a black queen, mama »
« Et même en tant qu’addict du crack, maman, tu as toujours été une reine noire, maman »
Dear Mama de 2Pac est un de ces morceaux incontournables - si ce n’est le plus grand - dans le domaine, avec un storytelling de leur vie commune. Il y évoque en toute transparence les épreuves qu’a traversé sa mère Afeni Shakur, autant vis-à-vis d’elle-même car addict au crack, que vis-à-vis de lui, qui a vite plongé dans la délinquance dès son jeune âge. Un récit autobiographique donc, mais qui parle à bien des familles afro-américaines mono-parentales souvent en proie à la pauvreté. On ne peut que saluer la sincérité avec laquelle la rappeur défunt s’est exprimé dans ce morceau, ne cachant en rien les faiblesses de celle qu’il aime malgré tout, de celle qu’il appelle « reine noire », car en dépit de tous ces obstacles à une vie sereine, elle a fait de lui l’homme qu’il est devenu. Un beau message d’espoir à celles qui sont désespérées de n’avoir aucun compagnon pour les soutenir, et à ceux qui sont désespérés de n’avoir aucun père pour les aimer. Cerise sur le gâteau avec le clip, où l’on ne voit malheureusement pas 2Pac, incarcéré à ce moment-là, mais où joue sa mère avec un sosie de son fils. La vidéo met en scène la réconciliation des deux, dans une émotion palpable. Le morceau, considéré comme l’un des plus touchants de l’histoire du rap, restera sans doute la référence principale des morceaux en hymne à la figure maternelle.
Sur un sample de la version acoustique de If U Scared Say U Scared de Smoke E. Digglera, Drake livre dans Look What You’ve Done un hommage des plus émouvants aux membres de sa famille les plus importants de sa vie : sa mère Sandi, sa grand-mère Evelyn et son oncle Steve. Il faut dire que l’amour et le respect qu’il porte pour celle qui l’a conçue n’est méconnu de personne, tant il aime à le rappeler dans nombre de ses titres, au contraire de son père qu’il méprise pour son absence - chose qui renforce encore plus sa reconnaissance pour sa mère. Il en fait notamment mention ironiquement dans ce titre « Boo-hoo, sad story—black American dad story ». Décidément, le schéma familial de la famille monoparentale afro-américaine est bien trop récurrente et inspire les artistes qui en sont issus. Le rappeur canadien abhorre toute comparaison à cet homme pour qui il ne ressent rien d’autre que de la haine. Look What You’ve Done rappelle les problèmes de santé de sa mère, et le rôle qu’a pu jouer Drake auprès d’elle, alors encore seulement adolescent en tant que seul homme de la maison. Il a annulé une tournée pour rester auprès d’elle dans des temps difficiles, lui a payé des opérations et des soins coûteux, et a réalisé son rêve de l’emmener à Rome : en somme, il donnerait tout pour la femme qui l’a élevé. Et comme si le titre n’était pas assez émouvant, il se conclue sur un message vocal de sa grand-mère lui souhaitant réussite et bonheur. Difficile de retenir ses larmes même après une énième écoute.
Kanye West n’aime pas grand monde, si ce n’est sa mère Donda West, qui fait exception. Il lui a assez voué deux titres, dont le fameux Hey Mama en 2005, mais également Only One en featuring avec Paul McCartney. Sur ce dernier, il fait parler sa défunte mère à travers ses propres paroles - « Kanye » signifiant « seul et unique » en swahili - dans un hommage émouvant, comme si elle était encore là pour le consoler. Il faut dire que Donda a été et sera toujours la personne la plus importante de sa vie, comme un guide spirituel le ramenant à la réalité même dans ses phases les plus délirantes. Un rôle qu’il tentera pour sûr d’incarner pour ses propres enfants, si l’on en croit la posture adoptée dans ce titre. Hey Mama est également le témoin de son amour pour elle, où il raconte toutes les épreuves que leur relation a pu traverser, et fait part de leur amour pour autant inchangé si ce n’est toujours grandissant au fil des années. Et comme sa reconnaissance pour sa mère est infinie, il sortira bientôt - on ne sait trop quand - un album lui rendant hommage, portant son nom.
« Wish you could live forever / So we could spend more time together / I love you mama »
Sur des airs bien moins mélancoliques, avec moins d’émotion et de mélodrame, J.Cole salue également sa génitrice avec son titre Apparently. On y ressent une certaine influence du titre de 2Pac, avec ce récit de ses erreurs de jeunesse, pour lesquelles il présente ses excuses auprès de sa mère, qui a toujours cru en lui. Jermaine oscille tout au long de son morceau entre une reconnaissance infinie pour celle qui l’a toujours soutenu, et un côté très mégalomane dans un égotrip saluant ses propres accomplissements. Il y exprime néanmoins ses regrets de ne pas avoir été suffisamment présent pour sa mère et sa famille - si ce n’est tardivement - car trop autocentré sur sa carrière. Il voue ainsi désormais une gratitude infinie à sa famille avec son oeil d’adulte.
Finalement, bien qu’on ait du mal à concevoir ces artistes comme étant de véritables humains tant on les voit sous le prisme de leur médiatisation et de leur musique édulcorée uniquement, il se cache vraisemblablement derrière leurs airs durs et impassibles un coeur doté d’une sincère sensibilité et d’un amour profond, livré avec parcimonie aux personnes les plus importantes de leurs vies. Quelque chose qu’on ne saura qu’apprécier : une touche d’authenticité au milieu d’une multitude de démonstrations de force.