A la découverte du rap québécois

Publié le: 28/09/2020 13:22
Mis à jour le: 05/10/2020 12:31
Les auditeurs français ont encore du mal à s'ouvrir à de nouvelles sonorités qui puisent dans des influences éloignées des leurs. Direction le Québec donc, pour découvrir les pépites de sa scène rap.

Le rap québécois regorge de talents, malheureusement trop méconnus dans l’hexagone. La scène québecoise est riche et variée, et mérite au moins la curiosité des auditeurs. Alors que nos oreilles sont assez renfermées sur la musique francophone limitrophe - belge et suisse pour les plus fins adeptes - on ne perdrait rien à nous laisser porter par de nouvelles sonorités, influencées non seulement par la francophonie, mais également par la musique anglo-saxonne au sein de laquelle ils sont pleinement plongés, formant finalement un mélange des plus intéressants.

 

Enima est originaire des quartiers Est de Montréal, une zone plutôt populaire. C’est avec lui que (re)nait un véritable moment de street rap québecois. Si sa musique est caractérisée par une certaine virulence - pour ne pas dire violence - ce n’est certainement pas un personnage. Ses textes abordent ainsi sans tabou le proxénétisme, mais également le trafic de drogue et plus globalement les aspects les plus obscurs du monde de la rue. Loin de vouloir asseoir une street-crédibilité qui ne lui serait pas due, Enima n’est pas des plus doux des rappeurs. En cavale depuis un moment maintenant, le rappeur a notamment tiré sur un homme à Toronto, faisant de lui l’objet d’un mandat d’arrestation. C’est nullement la première fois qu’il a affaire à la justice, puisqu’il a déjà été accusé de proxénétisme, puis de possession d’armes à Montréal. Un sacré palmarès donc, qui nourrit sans aucun doute son inspiration pour ses textes. Le 31 juillet dernier il nous a tout de même fait l’honneur d’un titre, Cullinan, un titre plein d’égotrip et assez typique de ce qu’on attendrait de lui.

 

Rowjay est de ceux que l’on a d’abord découvert sur Soundcloud, avant de se plonger sur ses projets aboutis sur les plateformes. Et force est de constater que c’est d’une grande qualité, et a le mérite d’avoir son propre style, son propre flow, absolument incomparable. Il est l’exemple typique du fruit d’influences majoritairement américano-canadiennes, sensiblement teintées de rap francophones, dont il n’a eu connaissance que tardivement. Il avait partagé un titre, Saint-Laurent, avec le youtubeur et désormais rappeur Mister V, le révélant à une certaine sphère d’auditeurs, avec 2 millions de vues sur le clip. Enfin, il a sorti lors du mois d’août un album, Free Cdf2 (comprendre Free Carnaval de Finesse 2), un projet assez abouti, qui présage une marge de progression assez importante pour la suite. Rowjay est donc pour sûr un artiste à suivre.

 

Jeune Loup est quant à lui pour le moins des plus étonnants. Au travers de clips toujours plus spéciaux voire psychédéliques, et un flow atypique au possible, le rappeur est toujours là où on ne l’attend pas. Sorte d’ovni dans la sphère du rap québecois, il parvient néanmoins largement à se faire sa place. Contant l’histoire d’un monde de drogues - surtout de codéine - le rappeur se balade constamment sur des prods de trap lourdes, dans une articulation approximative de ses termes, et avec le soin de perpétuer son off-beat, à l’origine de sa distinction particulière. Emprisonné pour une raison inconnue, il n’en demeure pas moins investi dans la musique. Il a sorti en mai Booted Up, un titre déjanté très typique du personnage. Même après plusieurs morceaux écoutés, difficile de rester sérieux et de ne pas trouver la chose on ne peut plus incongrue.

 

Enfin, impossible de parler de Jeune Loup sans parler de Mike Shabb, avec qui il a beaucoup travaillé. Ce rappeur est assez éloigné en termes des précédents sus-cités, la première raison étant simplement qu’il rap en anglais et non en français. On sent également un aboutissement artistique plus avancé : sans doute l’artiste a-t-il su prendre plus vite ses marques, sa maturité, et élaborer de se fait son univers très spécifique sans non plus avoir à tomber dans les limites du parodiques. Son vécu n’y est sans doute pas pour rien non plus, quand l’on sait que son père s’est suicidé. Il a sorti le 31 juillet un E.P., Life is Short, qui a vocation à exprimer cette prise de recul sur les choses, en se plaçant au-delà de la temporalité. Mike Shabb a une véritable volonté à s’affranchir des clichés habituels de criminalité et de street-crédibilité, pour rendre quelque chose de tout à fait personnel, se laissant guider par de multiples influences, à la fois trap, RnB, pop ou électro. L’artiste est en tous cas une pépite à découvrir au plus vite.

 

En conclusion, le rap québecois, en témoigne ce panorama concis, a beaucoup de choses à apporter à la musique, et dispose d’un éventail très large de styles : chacun devrait ainsi pouvoir y trouver son compte.

Noé Grieneisen